20 octobre 2010

Retrospective, Tyreke Evans

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---Lorsque j'ai réalisé une série d'articles sur les freshmen NCAA de la saison 2008/09 et sur la draft qui a suivi, Tyreke Evans était l'un des cas les plus intéressants à étudier. A peine sortie d'une petite année en NCAA, je me trouvais face à un joueur bourré de talent possédant des qualités de scoring en pénétration qui en faisait l'un des meilleurs slashers de la NBA avant même de poser une semelle sur les parquets de la ligue professionnelle, mais dont le profil d'arrière hybride, pour ne pas dire bâtard, le rendait difficile à utiliser efficacement dans un contexte d'équipe.

---Un an après, Evans peut contempler le trophée de Rookie de l'année depuis son canapé et écouter les gens répéter en boucle qu'il vient de clore sa première saison NBA avec des chiffres rappelant fortement ceux de Lebron James lors de son arrivée dans la grande ligue (20,1 pts, 5,3 rebs, 5,8 asts pour Evans et 20,9 pts, 5,5 rebs, 5,9 asts pour Rookie James). Le King de Sacramento s'est même permis d'afficher un meilleur pourcentage de réussite aux shoots que l'ancien King de Cleveland (45,8% contre 41,7%).

---Que s'est-il passée? Le jeune combo a-t-il subitement perdu les problèmes qu'on lui connaissait en posant ses valises sur le tarmac californien?

---Un petit retour en arrière s'impose. Voilà ce qu'on pouvait m'entendre dire à sa sortie de son unique saison NCAA et après s'être déclaré candidat à la draft:

"On a vite oublié ses débuts laborieux lorsque, replacé en meneur fin décembre (il occupait le poste 2 jusqu'alors), Memphis n’a plus perdu un match jusqu’au March Madness (défaite contre Missouri et son passing game de rêve). Son pourcentage alors catastrophique a repris des couleurs. Bien plus à l’aise balle en main, sa phénoménale qualité de dribble lui permet de faire autant d’incursions dans la raquette qu’il le veut, pour ensuite passer le relai à son physique NBA afin de finir les actions près du cercle. C’est dans cette capacité à venir dans la raquette pour scorer que son énorme talent réside. Doté d’un grand instinct pour le scoring, d’un body control à toute épreuve, d’une très bonne taille et de deux mains opérationnelles à volonté, Evans fait déjà partie du cercle très fermé des joueurs capable de se creuser un chemin vers le panier comme dans du beurre.

Mais vous vous en doutez, si le nom de l’attack machine de Memphis n’est pas suspendu à toutes les lèvres, c’est qu’il y a quelques lignes sur son C.V. qui apparaissent en rouge. Défauts découlant directement de ses qualités et de son talent, Tyreke Evans a tendance à dribbler plus longtemps qu’il n’est bon pour le jeu et à forcer ses attaques (c’est ça quand on est jeune et talentueux, parfois, on a tendance à ignorer ses limites. Ne le regardez
pas avec cet air désapprobateur, je vous ai vu remplir votre assiette comme un enragé lors d’un buffet à volonté et ne pas la finir ensuite).

De plus, Evans n’est pas exactement un playmaker. Son incroyable capacité à se créer ses propres occasions et son feeling, lui permet d’en créer pour les autres et il le
s sert sans rechigner mais sa tendance à « over-dribbler » embourbe un peu l’équipe qu’il conduit. Ensuite, il ne fait pas forcément preuve de discernement dans ses choix ce qui, allié à sa tendance à tenir longtemps la balle, en font un joueur enclin à perdre pas mal de ballons (genre petit poucet hystérique)."

---Le problème de Tyreke Evans n'était donc pas son talent, ni son attitude, ni son physique (qui à 1,96 m, du coffre et une vitesse suffisante lui permet d'encaisser le poste 1 comme le poste 2 avec un égal bonheur), ni même son jeune âge (sa phénoménale capacité à scorer en pénétration en faisait déjà un joueur prêt à contribuer immédiatement en NBA) mais son jeu assis entre deux chaises qui ne convient réellement ni au poste de meneur ni à celui de deuxième arrière.

---Moi qui dans ma mock draft l'avait repoussé au-delà de la huitième place tout en affirmant que cela était une injure à son talent, j'avais exposé cette problématique lors justement de ce huitième choix de draft, celui des Knicks de New York:

"Mais d’abord, je dois dire un truc sur l’un de ces exceptionnels meneurs : je n’ai pas confiance en Tyreke Evans. L’ancien scoreur de Memphis University a un talent fou et impressionne tout le monde. D’ailleurs, j’adore son potentiel. Mais je n’en voudrais pas dans mon équipe tant qu’il ne l’aura concrétisé.

Il est d’ors et déjà l’un des meilleurs de la ligue pour perforer les défenses et convertir en points ses incursions, et ça ne m’étonnerait pas de le voir dépasser les 15 points de moyenne dès son année rookie et ne jamais descendre en dessous de cette barre jusqu'à la clôture de sa carrière. Mais à l’heure actuelle, il n’apportera rien de bon à une équipe, sauf peut-être celles qui fondent leur jeu sur le un-contre-un. Sa propension à monopoliser la balle pendant de longues minutes, son manque d’entrain à faire jouer ses coéquipiers et son incapacité à être performant sans être le titulaire unique de la gonfle font que sa présence sur le terrain court-circuite l’ensemble du jeu de son équipe si il en est effectivement le seul dépositaire ou le rend complètement improductif s’il ne l’est pas.
"

---Reprenons. Ce scoreur dans l'âme avait d'abord été essayé au poste 2 par son coach à l'université, John Calipari, et l'expérience avait rapidement tourné court. Mauvais shooteur, dépourvu de jeu sans ballon et aussi perdu quand il ne porte pas la gonfle qu'un membre de la famille Ingalls dans un épisode des Simpson, Evans deviens un joueur inutile lorsqu'il est tenu éloigné de la balle orange.

---En tant que meneur et premier porteur du ballon, celui que l'on surnomme T-Rex ou le "fil à couper le beurre" était redevenu le scoreur implacable attendu, comme si son talent avait à nouveau envahi ses veines. Mais c'était le collectif qui en avait payer le prix. Balle en main, Evans était un danger offensif inextinguible, l'assurance de prendre au minimum une quinzaine de points dans les valseuses, mais sa tendance à chercher sa propre opportunité avant de tenter de faire jouer ses coéquipiers, sa faible science du playmaking et sa propension à conserver trop longtemps le ballon coupaient les jambes du collectif et de ses partenaires.

---Tyreke Evans, c'était l'assurance d'avoir du scoring chaque soir avec un pourcentage moyen très correcte si on lui confie la destinée du ballon mais un collectif réduit à sa plus simple expression, et un joueur quasiment anonyme si on ne lui laisse pas avoir ses paluches sur le cuir le plupart du temps. M'voyez le problème? C'est gênant de le mettre en meneur mais c'est aussi gênant de mettre à ses côtés un meneur qui par nature à besoin du ballon. Sa capacité à produire n'a jamais été mise en question mais son impact sur la performance de son équipe, si. Voilà pourquoi j'aurais tourner ma langue une douzaine de fois dans ma bouche avant de le drafter.

---Par la suite, après la draft et la sélection d'Evans par Sacramento, j'avais mis en doute la capacité du rookie à être le meneur que les Kings avait besoin malgré l'intéressant combo slasher/shooteur que constituait la paire Evans/Kevin Martin. Cette crainte s'est avérée plutôt fondée puisque Kevin Martin a été transféré à la mi-saison contre un (excellent) sixième homme, Carl Landry pour cause d'incompatibilité avec le rookie. En effet, avec les deux arrières sur le terrain (sur les postes 1 et 2), le jeu des californiens ne parvenait pas à se développer, tuant ainsi du même coup l'idée d'associer ces deux joueurs. Plus jeune, plus efficace et moins fragile, Tyreke Evans a été préféré à Kevin Martin pour porter la destinée de la franchise. Cette équipe n'était pas assez grande pour deux shooting guard de cette trempe et c'est l'ancien taulier qui a dû laisser sa place au jeune putschiste.

---Mais si Sacto en était arrivé là, c'est qu'Evans avait déjà largement montré de quel métal il était fait. Ce qui nous ramène à ma question du début: comment se fait-il qu'un joueur drafté en quatrième position, vu un peu plus bas dans les jours précédant la draft et dont le profil en forme de dilemme faisait mal à la tête de tous les coachs, a-t-il pu sortir une saison de cet acabit et provoquer le départ du franchise player?

---En fait, à ce moment-là, Paul Westphal, le coach de Sacramento, avait déjà trouvé la solution au casse-tête "Tyreke Evans", le joueur qui ne pouvait pas être privé de la balle et qui ne pouvait pas être un meneur. Le nouveau gourou des violets de Cali a en effet mis la main sur le moyen d'utiliser les qualités de son rookie superstar sans avoir à trop subir ses défauts. Evans a ainsi été positionné au poste 2 et on s'est aperçu que sur une bonne portion des attaques des Kings, le ballon lui était confié en début de possession avec pour consigne (explicite ou tacite) de faire ce qu'il sait faire le mieux: se frayer un chemin jusqu'au cercle pour scorer (et à ce petit jeu-là, il n'y en a pas beaucoup qui sont plus forts que lui). Sur les autres possessions ou lorsque le rookie ne trouvait pas de brèche suffisamment alléchante dans la défense adverse, le ballon était remis dans les mains d'un vrai meneur, Beno Udrih en l'occurrence. Ainsi, Sacto alternait entre les assauts d'Evans et un jeu offensif classique impliquant les autres joueurs.

---Délesté des responsabilités habituellement accrochées aux épaules d'un meneur de jeu, l'esprit libéré de la nécessité de faire tourner l'équipe, Evans a pu se concentrer sur ce qu'il sait faire, attaquer le cercle. Comme on demande à un shooteur de shooter, on demandait au rookie de scorer, point final. Les autorisations en bonne et due forme signées par le coach bien en vue dans le creux de sa main, l'ancien freshman de Memphis s'est saoulé de pénétrations dont lui seul a le secret et ce sont les défenses adverses qui se sont réveillées avec une gueule de bois (20,1 pts/match).

---A noter que cette stratégie tient sa pertinence de l'efficacité du jeu de pénétration de Tyreke Evans et du fait qu'il ne rechigne pas à servir ses coéquipier lorsque son drive leur a ouvert une bonne position. Il est en effet difficile d'imaginer confier la moitié des possessions d'une formation à un joueur au jeu toujours trop culotté comme Nate Robinson ou JR Smith par exemple. Le n°13 de Sacto lui se sert plutôt bien de sa demi-carte blanche, scorant quand il le peut et reconnaissant quand il ne le peut pas. Comme son drive et sa capacité à se creuser une trouée dans les défenses sont d'un niveau tel que les adversaires en sont forcément bousculés d'une manière ou d'une autre, chacune de ses tentatives à un bon pourcentage de finir par un panier ou une passe décisive (5,8 stockton par match).

---Les Kings ont donc eu de la chance d'avoir un entraîneur malin. Mais ils ont aussi eu la chance d'avoir déjà dans l'effectif un meneur dont le profil est compatible avec l jeu "slashing, ball often in the hands and no shoot" du n°4 de draft 2009. Beno Udrih complète en effet plutôt bien le jeu de son coéquipier, tout d'abord en comblant les lacunes de son partenaire avec ses skills de point guard d'un calibre correct et sa capacité à shooter, cette dernière permettant d'éviter que la défense adverse ne se replie sur elle-même et rende les choses beaucoup plus difficile pour Evans et son jeu de pénétration. Mais surtout, Udrih est un meneur qui n'a pas besoin d'avoir la balle en permanence sous ses doigts et qui donc peut la laisser faire son taf dans les mains d'Evans sur une bonne portion des possessions et du chronomètre sans connaître de mauvais états d'âme. Mieux encore, le Slovène, sa qualité de déplacement et son adresse à distance offrent un excellent point de chute aux perforations d'Evans lorsque celui-ci ressort le ballon.

---Avec ces deux là, Sacramento a trouvé un bel équilibre sur leur ligne arrière. Tyreke Evans a sorti une saison de All-Star pour son année rookie, Beno Udrih a enregistré le meilleur exercice de sa carrière (12,9 pts à un excellent 49,3 % de réussite dont 37,7 % à 3 pts et 4,7 passes décisives) et la franchise de la capitale californienne commence même à devenir un peu attractive. Les choses se sont bien goupillées pour tout le monde, et particulièrement pour Evans, j'ai envie de dire. Car en effet, maintenant qu'il est officiellement vu comme un scoreur d'élite capable de produire au plus haut niveau, qu'il est ancré dans cette ligue en tant que tel et que son talent ne peut pas être mis en doute, ça ne sera jamais à lui de s'adapter à un effectif en place mais aux dirigeants de moduler l'effectif en fonction de son profil. Or, avec un jeu aussi bancal que le sien, je ne suis pas sûr qu'il en aurait été de même si il n'était pas tombé dans une équipe comprenant un meneur comme Beno Udrih et un coach qui a su combiner ces deux joueurs. Je pense qu'il aurait plus vraisemblablement suivi les traces d'un Randy Foye, d'un Jamal Crawford ou d'un Jerryd Bayless plutôt que celles de Brandon Roy ou d'un "non evil" Monta Ellis comme c'est actuellement le cas. The right place at the right moment diraient certains.

---Terminons sur une petite note au sujet de l'avenir de notre rookie de l'année. Sa conversion au poste de d'arrière shooteur ne devrait pas tarder à être définitive puisqu'il semble montrer de très sérieux progrès au niveau de son shoot (notez l'évolution de la mécanique de tir: avant / actuellement). Il faudra attendre un peu avant de voir les dividendes de cette progression s'étaler sur un parquet mais lorsque cette nouvelle corde à son arc sera totalement opérationnelle, il rendra le job beaucoup plus difficile à son défenseur direct, affûtera considérablement l'efficacité de son drive (vu que le défenseur en question ne pourra plus se contenter de se concentrer uniquement sur ce type d'action) et en fera un joueur à surveiller même lorsqu'il n'aura pas la balle en main. J'espère seulement qu'il ne délaissera pas son jeu de percussion au profit de cette nouvelle faculté (plus propice à la fainéantise que le drive) comme Rasheed Wallace s'était détourné de son jeu dos au panier. Mais je m'avance là.

StillBallin

5 commentaires:

Youss a dit…

Hâte de voir ce que ça va donner avec Cousins.

Dayinho a dit…

Je trouve bizarre que la multiplication des arrières scoreurs type Tyreke Evans, Allen Iverson, Ben Gordon, n'ait pas entrainé la multiplication de PG de grande taille, capable de défendre sur des SG et d'organiser le jeu.
Je pense que c'est un profil de plus en plus recherché par les GM et que ce type de joueurs va croitre dans les années futures.

StillBallin a dit…

C'est sûr qu'avec à l'énorme réserve d'arrière shooteur dans le corps d'un point guard qui existe, le profil dont tu parles trouverait pas mal de débouchés.

Mais les meneurs de grande taille sont déjà assez rare à la base (pas simple d'être un suffisamment bon dribbleur pour jouer face aux mains rapides des meneurs adverses quand on a une dizaine de centimètres de plus ; et puis dans les catégories jeunes, les joueurs de cette taille sont souvent orientés directement sur les postes d'arrière ou d'ailier) tout comme les gestionnaires suffisamment bons pour avoir une place en NBA, alors un meneur de grande taille ET gestionnaire, ça devient méchamment difficile à trouver.

Mais comme tu dis, il y a un créneau à prendre (un espoir pour Pape Sy? Nick Calathes?).

Cependant pour Tyreke Evans, cette question ne se pose pas puisqu'il peut aisément défendre sur les shooting guard avec son mètre quatre-vingt seize (voire un peu plus).

Au fait, Dayi tu n'écris plus sur Vizu-Time?

Dayinho a dit…

C'est compliqué... C'était un truc avec des potes mais bon, l'engouement n'a pas pris.
Je pense bientôt retenter l'expérience mais de manière personnelle pour parler de basket, de foot ou autre. Maintenant, j'ai mon mémoire de M2 à gérer, énormément de lectures donc je me contente de te lire, et c'est déjà pas mal.

Ps: j'aimerai beaucoup connaitre ton opinion sur Rondo et ses réelles qualités. ;)

StillBallin a dit…

OK, n'hésites pas à faire savoir si tu décides de t'y remettre.

Au sujet de Rondo, je pense que je ne vais pas te répondre tout de suite. C'est une question intéressante que tu poses là, tellement intéressante que je pense que j'en ferais un article. A suivre donc.