17 juillet 2011

La Draft 2011 dans un coin de la tête (part. II)

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---J'entends régulièrement le Jazz d'Utah être cité comme le grand gagnant de la draft 2011. Un rictus un brin sceptique vient tirer le coin de la lèvre mais je crois que c'est plus une habitude du cynisme qui encre ma cervelle que l'expression d'un véritable sentiment. Fatigué d'être arnaqué par la vie comme je le suis, je suis sûr que ce même rictus me défigure le visage quand la boulangère m'annonce qu'elle n'a plus de baguette de pain. Qui de ce rictus sceptique ou de la bonne conscience qui me rappelle à l'ordre a raison? Le Jazz a-t-il vraiment couper la ligne d'arrivée en premier dans cette draft?

---La franchise mormone a recruté deux excellents prospects, là-dessus il n'y a pas à tortiller de la truffe. Mais rien ne dit que ces prospects feront d'excellents joueurs. Cette subtilité donne une partie de son charme à la draft et pour le coup, on peut dire que le Jazz a plongé la poitrine en avant et les bras en croix dans cet envoûtement suave et parfois vénéneux où le "risque d'être" met toujours des branlés au "est actuellement" et au "risque de ne pas parvenir à être". Avec Enes Kanter et Alec Burks, Utah a joué deux quitte-ou-doubles qui peuvent rapporter gros ou lui plomber l'estomac. Je ne veux pas jouer les rabats-joie mais en général, ceux qui flambent comme ça se retrouve un de ces quatre matins salement étalé sur le sol crasseux d'une ruelle sans lumière.

---Le pivot turc a déjà largement essuyé ma plume sur le risque qu'il constitue. A l'instar des lycéens naguère ou d'un Dirk Nowitzki débarqué tout droit de la faiblarde seconde division du championnat allemand, la marche va être sacrément haute à franchir. Pas mal de lycéens s'y sont pétés les dents et le Wunderkid aurait pu se cramer tout ce qu'il avait de moral et de confiance à force d'éviter les jets de pierres des supporters de sa propre équipe lors de ses premiers mois dans la ligue américaine. Kanter a beau avoir un physique de granit alliant taille, mobilité et puissance, et la gnaque pour enfiler les paniers, ces atouts ne tireront pas la même tronche béate de facilité lorsqu'il s'agira de se frotter aux gabarits sans limite de la NBA et à leur savoir-faire ciselé par les champs de bataille. Peu habitué à rencontrer une opposition aussi forte et n'ayant pas forcément l'expérience pour encaisser tout ça comme il faut, le gamin va passer l'épreuve du feu avec la peau tendre d'un nouveau né. A seulement 19 piges, il a les défauts et le manque d'expérience que laisse deviner son âge. Fondamentaux, justesse dans ses choix et implication défensive fluctuante, on sait déjà qu'il lui faudra un traitement de faveur de la part de ses coachs pour pouvoir rester sur le terrain.

---Rester sur le terrain, il y en aura du monde qui voudra rester sur le terrain cette année. Avec une raquette gavée jusqu'à en avoir les dents du fond qui baignent, le staff mormon va à coup sûr se planter la question du partage des minutes dans les doigts. Enes Kanter, Al Jefferson, Paul Millsap, Mehmet Okur et Derrick Favors, c'est cinq joueurs pour deux postes intérieurs. Deux titulaires indiscutables, un qui l'est quasiment et deux jeunes au potentiel à frotter les plafonds. La logique du terrain voudrait que ce soit Jefferson, Millsap et Okur qui rançonnent la plus grande partie du temps de jeu offert. Mais pourquoi drafter Kanter si c'est pour le coincer sur le banc derrière trois vétérans? A la différence de Favors, l'autre gros espoir, le Turc vaut surtout et peut-être uniquement pour son potentiel offensif. Exactement comme Jefferson, Millsap et Okur. Tous les quatre chassent sur le même terrain et là où Favors va pouvoir prendre des minutes grâce à son profil plutôt défensif, unique dans cette équipe, Kanter va devoir prendre ses minutes dans la besace des trois autres vétérans beaucoup plus aboutis et expérimentés que lui. Autant dire qu'il n'en verra pas beaucoup.

---Je ne suis pas d'un naturel confiant quand à la capacité des êtres humains à éviter de faire des choses stupides mais je ne pense pas que le Jazz ait tapé ce troisième choix de draft -qui fait partie de la contrepartie du transfert de Deron Williams à New Jersey- sur un joueur qu'il ne compte pas faire jouer. Après un an sans voir de compétition, Kanter n'a certainement pas besoin qu'on lui colle le short au banc toute la journée. Si la franchise veut voir la pépite qu'elle a choisi parmi tant d'autres pondre de l'or un jour, elle le mettra sur le terrain aussi longtemps que possible et l'y laissera faire des erreurs et enchainer les échecs. Pareil pour Derrick Favors si elle compte sur lui aussi. Des pelletés de défaite s'en suivront forcément mais c'est le prix à payer pour voir ces deux joueurs au potentiel boursouflé prendre leur envol et porter l'avenir de la ville du lac salé.

---Ouais, comme si ça pouvait se passer comme ça. Je ne peux pas imaginer Jefferson, Millsap et Okur supporter longtemps de voir depuis le banc de touche Kanter et Favors accumuler les erreurs de débutant au cours de leur large plage de temps de jeu, de devoir en faire deux fois plus pour essayer de les rattraper et de lâcher plus de matchs que prévus en cours de route. Qui pourrait accepter ce genre de choses? Pinocchio?

---Un compromis entre l'avenir et le présent sera difficile à trouver et pourtant, il faudra bien filer une bonne portion de temps de jeu à toute cette clique. Avec tout ce talent au mètre carré, certains appelleraient ça un problème de riche mais un problème reste un problème quelque soit le nombre de dents en or que celui qui y est confronté compte dans sa bouche. On a vaguement parlé de décaler Paul Millsap en small forward avant même le recrutement de Kanter mais ça parait casse-gueule comme solution.

---Peut-être ont-ils prévu de réaliser des échanges. Le lock-out a suspendu le temps pour le moment, gelant toutes possibilités de négociation mais ça n'empêche pas les méninges de fonctionner. Peut-être que l'idée est de récupérer un arrière shooteur de qualité, poste qui semble être le plus désœuvré. Mais à ce petit jeu, pourquoi ne pas avoir drafter directement Brandon Knight, ex-shooting guard reconverti en meneur qui pourrait repasser à son poste d'origine pour l'occasion, plutôt que Kanter? Peut-être parce que les costard-cravates de la franchise avaient plus confiance en Kanter qu'en Knight ou qu'ils étaient plus éblouis par ses capacités. Ou peut-être espèrent-ils récupérer un arrière plus fort et plus expérimenté en échange d'un Al Jefferson ou d'un Paul Millsap. Tout ça se défend. Les Utes n'ont pas le potentiel de séduction d'une jeune star hollywoodienne dans un spot publicitaire pour du parfum alors un gros trade est peut-être la meilleure option pour empocher des joueurs de gros calibre. C'est l'avantage d'en avoir trop plutôt que pas assez, on peut transformer le quantitatif en qualitatif. Un ou deux trades bien sentis pourraient faire naître une équipe superbement carénée. A condition de la jouer fine et de bien bouger ses pions.

---Je n'ai pas la moindre idée de ce qui se creuse dans le citron de la franchise de Salt Lake City mais la sélection de Kanter en tient une couche en matière de prise de risque, tant vis-à-vis du joueur que des besoins de l'effectif actuel. Tout ça peut tourner au coup de génie ou virer au vinaigre sans qu'on ait vraiment la place de lâcher une prédiction à peu près potable. Et ils n'ont pas pu s'empêcher de remettre ça avec leur 12ème choix. Un peu inattendu pour cette franchise de boy-scouts. Peut-être que maintenant que Jerry Sloan n'est plus là, les souris dansent, va savoir.

---Alec Burks fait un bon douzième choix de draft et vient poser ses bourses à un poste où il n'y a pas grand-monde, tout juste le vieillissant Raja Bell et le peut-être un peu trop sensible de la carabine CJ Miles, qui d'ailleurs naviguent aussi pas mal sur le poste 3. Un boulevard pour l'arrrière scoreur de Colorado University? Pas vraiment. Burks crachent du potentiel par tous les orifices mais si on parle de potentiel, c'est bien parce que sa production risque d'être esquintée par les défauts et lacunes qui sont encore trop présents dans son jeu. Tout ça ne serait pas grave pour n'importe quel rookie de même pas vingt balais. Mais je ne pense pas qu'autant de clémence puisse lui être accordée. Son jeu démarre avec le ballon dans les mains, c'est dans cette situation que son talent réside, qu'il peut suriner ses adversaires en attaquant le cercle. Piètre shooteur et n'ayant jamais véritablement eu à mettre en œuvre quelque chose ressemblant à du jeu sans ballon, il y a peu de chances qu'on puisse tirer quelque chose de lui autrement que lorsqu'il a la main sur le cuir.

---Confier régulièrement la balle à un rookie pas fini est rarement le truc qui va amener le plus de victoires. Ça revient plus ou moins à lui confier une partie du jeu de l'équipe. Comme avec Kanter, la franchise devra voir si elle privilégie les victoires immédiates ou le développement de son jeune arrière. Je passe le fait qu'avec Kanter, Derrick Favors et lui ça fait trois gamins à qui il faut donner du temps de jeu, des ballons et laisser faire des erreurs. Le tableau que je décris depuis tout à l'heure sent déjà trop l'aspirine.

---L'autre truc qui cloche avec la sélection de Burks, c'est qu'il a un jeu assez proche de celui du meneur, Devin Harris. Tous les deux sont des slashers au shoot incertain qui ont besoin de la balle et ce serait bien un coup du diable qu'ils ne se marchent pas sur les orteils quand ils seront ensemble sur le terrain. Et puis vu comment ça se présente sur le papier, le Jazz risque bien de se coltiner un petit souci de collectif. Leur meneur est un scoreur avant tout et il est lui-même entouré par une tripotée de scoreurs. Al Jefferson, Paul Millsap, Devin Harris, Mehmet Okur, CJ Miles, Gordon Hayward et maintenant les deux bleus Enes Kanter et Alec Burks, tout ces gars-là s'agiteront sur la parquet en espérant être le prochain à faire trembler le filet. C'est normal, c'est ça qui leur a permis d'avoir une place en NBA. Il en reste pas moins que le jeune coach, Tyrone Corbin, devra rapidement se faire un sac à malices pour gérer tout ça. Trouver une recette qui tient la route donnerait des sueurs froides à n'importe qui, sans parler de l'éventuelle contrainte de développer les mouflets récemment draftés. C'est pour ça que ça ne m'étonnerait pas de voir le Jazz se livrer à quelques transactions. Ils ont le matos pour et autrement, je ne vois pas comment ils pourront faire danser toute cette clique en rythme sans brider une personne ou deux.

---Faut malgré tout reconnaître qu'Alec Burks étaient le seul joueur que la franchise pouvait piocher avec son 12ème pick. Le sophomore qui lorgne sur les traces de Brandon Roy était le seul prospect disponible qui valait le coup et qui correspondait à peu près à un manque dans leur effectif. Kawi Leonard a peut-être rôdé à la lisière de l'esprit des dirigeants mormons à ce moment de la draft mais, c'est un small forward et ce poste porte déjà les marques de crocs de Gordon Hayward et de CJ Miles. A choisir entre un poste 3 et un poste 2, c'est effectivement vers le poste 2 qui fallait se tourner. Quels étaient les autres arrières disponibles? Jordan Hamilton peut-être, même si il est lui aussi plus un poste 3. Naan, prendre Burks était la seule chose à faire, ici.

---Pas vraiment le choix, il faudra faire avec. C'est sûr que s'ils avaient choisi Brandon Knight avec leur troisième choix, ce 12ème pick aurait été plus facile. Ils auraient pu prendre un bon intérieur de devoir comme Markieff Morris par exemple, histoire d'avoir du role player capable d'apporter en défense pour soutenir Millsap et Jefferson, tout en ne mouftant pas trop en cas de temps de jeu et de touches limités. C'est certainement ce que j'aurais fait. Peut-être à tort d'ailleurs. Tout ça dépendra de ce que donnera Kanter et Burks et, ou alors des transferts qui se feront peut-être. Les possibilités sont grandes pour le Jazz, comme le risque d'échec.

Certains trouveront peut-être ça fendard.


A suivre.

StillBallin

2 commentaires:

Startrak a dit…

Eh ben comme dirait l'autre : on verra bien...

C'est sur commande les anayses de draft? Si oui, j'en voudrais une des Pistons, cuite à point! ^_^

StillBallin a dit…

En fait, je n'avais pas prévu de consacrer cette épisode uniquement au Jazz quand j'ai commencé à l'écrire. Mais j'avais finalement pas mal de choses à dire donc je n'ai pas vraiment pu enchainer sur d'autres sujets. Je n'ai pas voulu faire un truc trop volumineux et déséquilibré donc j'ai préféré couper l'article avant de déboiter sur un autre sujet.

Les Pistons passeront à la casserole bien sûr. Je ne sais pas encore à quel moment parce que cette série d'articles est construite comme un réflexion continue sans autre ordre que celui du fil de la pensée. Mais il y a assurément des trucs à dire sur eux.