Les Grizzlies voulaient se débarrasser de Rudy Gay afin d'améliorer leur rentabilité (je suppose que leur prochaine action sera de délocaliser la franchise en Inde ou en Chine) et les Raptors avaient les yeux brillants à l'idée de compter dans leurs rangs un joueur pas loin d'être all-star. Ainsi, le transfert de l'ailier dans l'Ontario s'est confortablement installé dans les starting-blocks. Toutefois, les deux organisations ont eu besoin d'un troisième larron pour conclure la transaction, les Pistons de Detroit.
Ces derniers en sont ressortis amputés du dernier membre majeur de l'équipe championne en 2004, Tayshaun Prince, et se sont renforcés du meneur distributeur espagnol, Jose Calderon.
Au premier regard, on pourrait se demander pourquoi la franchise du Michigan a signé ce trade. Calderon et ses trente ans passés arrivent dans une équipe complètement tournée vers un avenir encore lointain qui de plus compte déjà trois manieurs de ballon jouant des coudes pour être sur le terrain (Brandon Knight, Rodney Stuckey et Will Bynum). Quant à Prince, il faisait son office (11,7 pts et 4,6 rebs) sur un poste loin d'être surchargé. Et surtout, Piston depuis le début de sa carrière et respirant de la tête au pied la philosophie qui avait fait la force et la fierté de Motor City il n'y a pas si longtemps que ça, il était une véritable figure de la franchise.
Pourtant en creusant un peu plus profond dans le cerveau de Joe Dumars, le General Manager, l'opération montre un visage finalement assez intéressant.
Detroit est encore plongé dans sa reconstruction, un processus de longue haleine qu'il est extrêmement difficile de faire aboutir de la façon la plus satisfaisante possible (c'est-à-dire finir avec une équipe taillée pour le titre), d'autant plus lorsqu'on l'appuie sur l'exercice hasardeux et chronophage de la draft. Dans ce processus, une erreur de casting sur un point clé -en terme de niveau de jeu du joueur recruté ou de sa complémentarité avec les autres pièces de la reconstruction- risque de repousser dangereusement son aboutissement ou pire encore, de faire tout voler en éclats.
Une reconstruction est d'autant plus compliquée à concrétiser avec brio que chaque décision qui est prise pour la mener est inévitablement appuyée sur des prévisions abstraites autour de l'impact des joueurs et de la naissance ou non d'une véritable alchimie d'équipe.
Les Pistons, eux, sont à un moment crucial de ce processus. Depuis, presque trois ans, ils ont patiemment assemblés des éléments prometteurs (Greg Monroe, Brandon Knight et Andre Drummond) qu'il va maintenant falloir transformer en équipe compétitive. Vraisemblablement, ce seront les prochains mouvements de la franchise qui feront de cet embryon une formation de haut-niveau ou un assemblage de talents sans lien tournant à vide. A l'instar des Kings de Sacramento, par exemple.
Pour faire aboutir efficacement sa reconstruction, Joe Dumars va devoir prendre les bonnes décisions et Calderon va lui fournir de précieuses informations sur la direction à suivre. Car avec l'ancien Raptor, le General Manager va pouvoir tester une nouvelle configuration de son équipe et voir si elle se prête mieux à sa base de jeunes talents que la précédente.
Car depuis l'arrivée de Greg Monroe, la première pierre de leur nouveau départ, les Pistons n'ont jamais eu l'occasion d'évoluer avec un véritable meneur (1), seulement avec des manieurs de ballon plus orientés vers le scoring que la distribution (Brandon Knight, Rodney Stuckey et Will Bynum). Les résultats n'en ont jamais été complètement satisfaisants.
Est-ce que les pièces se mettront en place d'une meilleure façon avec un playmaker comme Calderon à la place? C'est bien possible et c'est ce que va vérifier Dumars. Il va également pouvoir savoir si l'avenir de Brandon Knight se situe d'avantage au poste 2 qu'au poste 1 et s'il peut exprimer toute la valeur de son talent avec véritable point guard à ses côtés.
A partir de là, le dirigeant aura une idée bien plus précise de ce qu'il devra faire pour parvenir à une formation performante. Il saura si c'est d'un distributeur du type de l'espagnol qui lui permettra d'exploiter au mieux sa jeune base ou si cela ne change rien, et il saura avec plus d'acuité quoi faire de Knight: l'installer en meneur, en arrière shooteur ou le transférer car il s'avérera être trop entre les deux postes pour être véritablement efficace.
Selon ce que donneront ces six mois, Dumars pourra même venir à se demander si sa base de jeunes talents est suffisamment viable pour qu'il en fasse le fondement de sa reconstruction.
C'est un essai que la franchise peut se permettre dans le sens où Calderon et ses 11 millions de $ de salaire arriveront en fin de contrat au prochain intersaison. Gober ainsi un trentenaire retirant beaucoup de billets verts sans savoir si la mayonnaise va prendre n'est ainsi pas un gros risque. Cela aurait été le cas s'il restait encore deux ou trois ans de plus sur le bail de l'ancien Raptor car en cas d'échec, ce contrat aurait pu être un frein important dans le processus de reconstruction. Il n'en est rien, alors pourquoi se priver de cette offre de quelques mois sans engagement?
Quant à Tayshaun Prince, l'abandonner n'est finalement pas un si grand sacrifice face à la perspective de voir se dessiner une ligne de conduire valable pour placer la reconstruction sur de bons rails. Par ailleurs, le filiforme ailier avait encore deux ans et demi à 7 millions la saison sur son contrat. Rien de scandaleux pour un tel joueur mais pour un joueur qui est trop âgé pour faire sérieusement partie des projets d'avenir de la franchise, cela aurait pu être un obstacle pour recruter des free agents.
Les free agents, parlons-en justement. En se séparant de Prince pour le remplacer par Calderon, Detroit se retrouve avec un épais contrat finissant supplémentaire qui vient s'ajouter à celui, équivalent, de Corey Maggette (21 millions par an en cumulé). Si aucun des deux n'est prolongé (on pourra se poser la question pour le meneur à ce moment de l'année), les hommes du Michigan auront pas mal de place sur le salary cap pour offrir un gros chèque. Josh Smith, Paul Millsap ou pourquoi pas Brandon Jennings si les Bucks n'égalisent par les offres, pourront être des recrues intéressantes.
Ce transfert envoyant Rudy Gay à Toronto et qui leur a apporté Jose Calderon permet donc aux Pistons de jouer sur deux tableaux: l'expérimentation d'une nouvelle configuration d'équipe qui leur permettront de visualiser les orientations à donner à leur reconstruction et la création de la possibilité de s'offrir un gros free agent à la fin de la saison. Une jolie manœuvre dont il sera très intéressant de voir les fruits d'ici quelques temps.
(1): Une occasion de recruter un véritable meneur, ils en ont eu une grosse lors de la draft 2009. Avec leur 15ème choix, ils ont jeté leur dévolu sur l'ailier Austin Daye alors que Jrue Holiday et Ty Lawson étaient encore disponibles.
Bonus Track: Brandon Knight en Shooting Guard.
Si Knight (22 ans, 1m 91) s'est surtout fait remarquer au lycée par ses formidables et multiples qualités de scoreur, son physique, sa vitesse, son aisance balle en main, son intelligence de jeu et sa faible réticence à lâcher la gonfle disaient à tout le monde que c'était au poste de point guard qu'il avait le plus de potentiel. Aussi il n'était pas illégitime pour Kentucky, son équipe en NCAA, et Detroit d'essayer de le développer en tant que tel. Et à mon sens, s'il y avait bien quelqu'un qui aurait pu réussir cette très difficile transition, c'était bien lui.
Malgré tout, foutre d'aussi grosses responsabilités supplémentaires dans les pattes d'un jeune joueur qui est encore en phase d'apprentissage dans ces domaines en question et qui découvre le haut-niveau comporte forcément un important risque d'échec. Même si le floridien a montré de bonnes choses et pas mal de promesses, il était encore loin du compte.
Je vois donc d'un bon œil son replacement à une position où il pourra jouer de façon plus naturelle. S'il est un joueur qui exprime une bonne partie de son talent balle en main, il possède également un sympathique jeu sans ballon (récemment face à San Antonio, on a pu apprécier ses drives en réception de passe après avoir semé son défenseur direct) qui, surmonté d'une jolie qualité de shoot, s'accorde tout à fait avec le poste de shooting guard et la présence à ses côtés d'un meneur traditionnel.
A cela, il y ajoutera quelques friandises "made in point guard" comme la vitesse, la capacité à prendre le relai de son meneur et celle de créer des positions de tirs pour ses coéquipiers. S'il n'est pas un meneur abouti, son jeu en possède suffisamment de traits intéressants pour en imprégner une rencontre de temps à autre. Venant d'un arrière, c'est toujours assez gênant pour les défenses adverses. Tout cela devrait ainsi compenser le déficit physique qu'il a vis-à-vis de la plupart des arrières.
Par ailleurs, j'aime assez l'idée d'associer un meneur traditionnel et un second arrière partageant quelques unes des qualités d'un point guard comme notamment la vitesse et la création. Si les deux arrières ne s'étouffent pas l'un, l'autre -et cela semble être le cas entre Calderon et l'arrière vif-argent dont l'entente paraît immédiate pour l'instant- c'est toute l'équipe qui bénéficie d'un surplus de vitesse et de créativité bien difficile à contenir pour les adversaires.
Je me demande si nous nous étions pas trompés à l'époque. Ce n'était pas au poste de meneur que Brandon Knight avait le plus de potentiel, mais bien à celui de shooting guard. J'attends encore de lui qu'il améliore grandement sa finition (notamment près du panier) et sa constance avant de me prononcer mais je pense qu'on pourra voir un magnifique joueur sortir de tout ça. En tous cas je vais compter dessus.
Et si on observe effectivement ce génial arrière émerger, vous pourrez me voir sortir un article sur le backcourt à tomber qu'il aurait formé avec Kyrie Irving si les Cavaliers l'avait drafté en lieu et place de Tristan Thompson en 2011 avec leur quatrième choix.
StillBallin
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