---Ce gars était venu me voir dans mon bureau. Il était tard et j'étais en train de jouer avec une balle en mousse en me demandant si je ne ferais pas mieux de rentrer chez moi au lieu de tromper mon ennui et ma flemme avec cette petite balle, quand il est entré sans frapper à la porte ni s'annoncer. Je dois bien le dire, il m'avait pris en flagrant délit de glandouille au boulot. Il s'était assis sur la chaise en face de moi avant que je n'ai eu le temps d'enlever mes pieds du bureau alors je n'ai pas bougé, feignant une désinvolture pleine d'assurance.
---Il avait commencé à me réciter son pedigree et les raisons de sa venue impromptue dans mon bureau d'une voix monotone et sans marquer de pause. Tout ça n'était que du baratin, une entrée en matière policée pour donner une allure banale à cette rencontre qui assurément ne l'était pas. Je le savais et il savait que je le savais. Une grossière ébauche de couverture pour lui comme pour moi qui n'était là que pour endormir les murs et leurs oreilles.
---En le regardant, je me demandais comment tout ça pouvait ne serait-ce que donner l'impression qu'il s'agissait-là d'une conversation anodine. Avec une figure aussi flexible qu'une barre à mine, des cheveux trop parfaitement plaqués sur le crâne et des yeux rappelant dangereusement deux puits menant dieu sait où, sa trogne démentait à elle seule le caractère banal de cette rencontre. N'empêche, sa mine patibulaire n'était peut-être pas une ode à la discrétion mais ce qui était sûr, c'est qu'elle avait eu le don d'attirer la mienne.---A l'intérieur se trouvait une lettre décrivant la mission qu'on proposait de me confier, le montant de ma rétribution et le rendez-vous de clôture de cette transaction au cours de laquelle j'échangerais mon travail, finalisé et agrafé, contre les billets verts promis. J'avais parcouru la feuille blanche dans tous les sens, je n'y avais aperçu aucune signature. Evidemment.
« Un simple oui ou non vous suffirait ? »
---Mon visiteur taciturne avait accueilli ma vrai/fausse question d'un rire léger en se levant de sa chaise. Les pieds toujours perchés sur mon bureau, je l'avais regardé quitter la pièce sans se retourner. Je me souviens m'être dit à ce moment-là qu'il y a des mecs avec qui je n'aimerais pas faire une partie de poker. J'étais plutôt content qu'il ne soit plus dans mon bureau mais je regrettais un peu de ne pas avoir pu lui tirer quelques informations sur l'identité de la personne -ou de l'organisation- qui l'avait envoyée ici. Quelque soit les changements opérés, le Jazz est une équipe dangereuse qu'il vaut mieux avoir au bout de son fusil quand on la croise au détour d'une rue. Mon commanditaire a raison de s'en méfier. Le problème pour moi, c'est qu'ils sont nombreux à penser la même chose. Lakers, Nuggets, Mavericks, Spurs, Blazers, Thunder, Grizzlies, Clippers, ça peut-être n'importe qui d'entre eux..
---Me voilà donc confronté au Jazz d'Utah au milieu de la nuit, difficilement soutenu par la lumière faiblarde de ma lampe de bureau. Une petite voix bien vicelarde dans ma tête me dit que je suis en train de m'esquinter les yeux sur un écran d'ordinateur peu coopératif et que je serais mieux au pays des rêves, mais je la fais taire d'une grande lampée de soda généreusement envoyée derrière la cravate. Un rapide coup d'œil sur le roster mormon me rappelle qu'il faudra plus qu'un simple coup d'œil pour venir à bout de ce job. La franchise s'est fait dépecer de quelque uns de ses joueurs majeurs ou en tout cas, d'une importance non négligeable, mais elle s'est plutôt bien renflouée en retour.
---Il est évident que la nouvelle équipe ne disposera pas des automatismes du passé mais connaissant Jerry Sloan, ceux-ci viendront bien vite. C'est sûr que ça va patiner un peu en début de saison et là-dessus je ne me mouille pas beaucoup, la saison du Jazz a commencé depuis un moment déjà et c'est pas difficile de voir qu'on se cherche encore pas mal chez eux. Par contre, cette nouvelle mouture sera peut-être plus fraîche et gonflée d'un espoir renouvelé. Cette évolution d'effectif plus ou moins forcée a peut-être épuré pas mal de frustration. Deron Williams avait déjà montré quelques signes d'agacement à se cogner systématiquement à un plafond de verre planté en travers des dernières marches menant à la finale. Avec des armes différentes, c'est une nouvelle aventure qui commence, débarrassé des échecs de naguère, et le meneur all-star attaquera peut-être la saison avec un tout nouveau mordant. Je me demande aussi si le caractère inédit de cette équipe du Jazz ne détruit pas mécaniquement le stock d'expérience que les autres franchises avaient emmagasiné contre eux à force de croiser leur route. Est-ce que tout ça compense les automatismes affinés par les années et l'expérience commune des pensionnaires de l'Etat mormon? Je peux toujours poser la question, personne sur ce monde ne serait fichu d'y répondre à part le terrain et ça m'étonnerais que mon visiteur au visage en lames de rasoir me permette d'attendre son avis sur le sujet.
---Carlos Boozer est parti, Al Jefferson a débarqué. C'est le changement majeur sans le moindre doute. Mais "changement" n'est peut-être pas le bon mot. Un ailier fort pour un ailier fort; un intérieur à vocation offensive, plutôt performant en un-contre-un et capable de fournir une vingtaine de points chaque soir avec souvent une dizaine de rebonds en plus sur l'addition, qui prend la place d'un autre. Sans trop varier par rapport à la saison précédente, Utah tirera de son intérieur des doubles doubles à 20 pions/10 rebonds par poignées. A l'évidence, Jefferson vient dans la demeure de Jerry Sloan pour enfiler les chaussures de Boozer.
---Carlos Boozer est parti, Al Jefferson a débarqué. C'est le changement majeur sans le moindre doute. Mais "changement" n'est peut-être pas le bon mot. Un ailier fort pour un ailier fort; un intérieur à vocation offensive, plutôt performant en un-contre-un et capable de fournir une vingtaine de points chaque soir avec souvent une dizaine de rebonds en plus sur l'addition, qui prend la place d'un autre. Sans trop varier par rapport à la saison précédente, Utah tirera de son intérieur des doubles doubles à 20 pions/10 rebonds par poignées. A l'évidence, Jefferson vient dans la demeure de Jerry Sloan pour enfiler les chaussures de Boozer.
---Mais le nouveau vaut-il l'ancien? J'avais espéré les départager sur la défense mais il n'y en a pas un pour rattraper l'autre dans ce domaine-là, à la différence peut-être que Jefferson a toujours été dans des équipes de faible valeur. Plongé dans un environnement différent, déchargé de certaines responsabilités et placé sous les yeux menaçant de Jerry Sloan, on peut peut-être avoir l'espoir que son manque d'effort et de connaissances sur la question soient largement dépendants du contexte (à quand remonte la dernière fois qu'on lui a demandé de défendre, sérieusement?). Alors que Boozer, lui, était déjà un défenseur médiocre dans un contexte compétitif et sous les ordres d'un grand coach. J'ajouterais aussi que Jefferson est plus grand (2,09 m contre 2,06 m) donc mauvais pour mauvais, autant en avoir un qui dispose de quelques centimètres supplémentaires. La taille des intérieurs a tendance à modifier la trajectoire des tirs adverses, voire parfois à dissuader les attaquants de faire des incursions dans la raquette. Jefferson n'a pas un impact défensif aussi intéressant mais un grand reste un grand et sa présence -même peu mobile et réactive- est forcément un petit peu plus dissuasive que celle d'un Boozer.
---Mais ça, ce n'est que du pinaillage, le réel avantage que tire le Jazz du remplacement de Boozer par Jefferson, c'est qu'il peut décaler les 2,09 m de son nouvel intérieur en pivot sans trop de scrupules et ainsi utiliser librement le petit (2,03 m pour les plus optimistes) mais excellent Paul Millsap à plein temps sur le poste de power forward. En effet, il était autrefois assez inconfortable d'avoir Boozer et Millsap ensemble sur le terrain car tous les deux sont de purs ailiers forts et aucun des deux n'est taillé pour le poste 5. Si la raquette Boozer/Millsap était talentueuse et finalement assez productive, elle accusait un sérieux problème de longueur face aux adversaires qui comptent un ogre ou deux dans leur effectif (Lakers, Orlando,...).
---En attendant le verdict définitif du terrain qui ne viendra qu'en Mai, je crois que je peux dire sans craindre de me faire couper le pouce que la franchise aux nouvelles couleurs inappropriées en sort pour l'instant gagnante. Sur le papier, du moins. C'est là qu'est la différence peut-être: avec Jefferson, il y a des incertitudes qu'il n'y avait pas avec ce bon Carlos.
---Il est temps de décoller les yeux de ce secteur intérieur, la ligne extérieure a eu un ravalement de façade tout aussi vif. Kyle Korver et Wesley Matthews ont quitté le navire, rapidement remplacés par Gordon Hayward, Raja Bell et Earl Watson.
---Cependant, Watson restera avant tout le joueur qui permet à Deron Williams de souffler quelques minutes sur le banc donc au bout du compte, son impact global sera assez limité. Les deux autres recrues extérieures, Gordon Hayward et Raja Bell, devraient avoir un poids supérieur et un rôle plus important. En fait, ils devront avoir un rendement au moins équivalent à celui de Kyle Korver et Wesley Matthews, les joueurs qu'ils remplacent. En ont-ils les armes?
---Je fouille deux ou trois fois les mêmes tiroirs, renverse une pile de documents et envoie une demi douzaine de boulettes de papier dans la corbeille à l'opposé de la pièce (seulement deux réussites, pas un bon jour aujourd'hui) avant de me rappeler que je n'ai rien écrit sur Gordon Hayward, drafté en neuvième position en juin dernier. Le temps est cruel, il vous rappelle sans cesse vos fainéantises du passé en vous faisant bien comprendre que ce qui n'a pas été fait retoquera à la porte à un autre moment, et pas forcément bien disposé dans le calendrier. Faut dire qu'on a eu un été chargé, hein?---Je me retrouve donc plongé jusqu'aux coudes dans les articles, les vidéos et les coups de fil pour en apprendre plus sur ce jeune blanc bec shooteur comme l'Etat d'Indiana semble tant aimer produire depuis un certain Larry Bird. Gordon Hayward a sauté aux yeux du grand public en menant la solide mais peu médiatique université de Butler en finale du tournoi NCAA. Un bel exploit qui l'a peut-être fait paraître meilleur qu'il ne l'est. A mon avis, Hayward peut devenir un très bon titulaire en NBA mais pas le numéro 1 (voire numéro 2) d'une franchise. Par contre, il semble avoir été forgé spécialement pour Jerry Sloan. Avec sa compréhension de jeu qu'aurait pu être l'œuvre du regretté John Wooden, cet ailier de 2,03 m finalement assez rapide est le plus à l'aise et le plus performant quand le collectif déroule ses rouages.
---C'est simple, il coupe vers le panier toujours au bon moment pour recevoir la balle dans une position qui lui permet de trouver un exécutoire à ses qualités de finisseur, met efficacement en œuvre sa science du spacing qui va bien avec son talent de shooteur from down town et de manière générale, joue plutôt juste. En voyant tout ça, on pourrait se demander si le coach du Jazz ne lui a pas glissé des petits mots sur la façon de jouer au basket dans son goûter pendant toute son enfance.
---Vu que son excellent pourcentage de réussite aux tirs à trois points a pris un éclat lorsqu'il est passé du précieux freshman de complément au leader offensif de Butler pour sa seconde saison (de 44,8 % sur presque 5 shoots longue distance à 29,4 sur un petit peu plus de 4), au cours de laquelle il a dû subir l'attention échauffée des défenses adverses et prendre bien plus de shoots contestés, je me dis qu'Hayward est certainement plus dangereux dans le costume d'une option offensive secondaire qui profite du travail des autres et des positions ouvertes, plus particulièrement si on peut flanquer un meneur de gros calibre à ses côtés. Et assurément, c'est le cas d'Utah.
---En fait, c'est sur sa défense que certains ont pris l'habitude de tiquer. C'est pas sur son attitude qu'on peut l'attaquer; appliqué et persévérant, il défend comme le collégien attentif et zélé dont il a la figure. Le problème, c'est qu'il n'est pas aussi explosif que pas mal d'ailiers en NBA et risque de se faire déborder régulièrement. Mais ça ne devrait pas l'empêcher d'être sur le terrain, Kyle Korver qui n'est pas un défenseur aussi consciencieux que lui avait bien réussi à se craquer une place dans la rotation mormone.
---Korver, justement, c'est le vide qu'il laisse sur le poste 3 que devra combler Hayward tandis que Raja Bell viendra remplir celui occasionné par le départ à Portland du surprenant Wesley Matthews. Est-ce que Utah a gagné aux changes? Difficile à dire. La différence n'est pas énorme, à moins qu'Hayward qui porte dans ses bagages l'incertitude inhérente à chaque rookie, ne se plante complètement (Adam Morrison, oui c'est à toi que je pense bougre d'imbécile) ou que ça lui prenne une saison complète pour s'acclimater vraiment à la grande ligue.
---Je ne tiens pas compte de la période d'adaptation du rookie, mon boulot c'est de savoir ce que le Jazz vaudra aux portes des playoffs, là où ça compte vraiment. Le début de saison ne m'intéresse pas pour le travail qu'on m'a confié. Plus loin dans l'année, Hayward aura normalement trouvé sa vitesse de croisière et on peut penser qu'il apportera quelque chose d'un calibre équivalent à ce qu'apportait Wesley Matthews l'an passé (une dizaine de points et des solutions efficaces). Peut-être un peu plus, peut-être un peu moins. A partir de là, la paire Hayward/Raja Bell ne paraît pas vraiment moins forte que la paire Wesley Matthews/Kyle Korver. Bell n'est peut-être pas un aussi bon shooteur que Korver mais il est un meilleur défenseur malgré ses jambes vieillissantes. Si C.J. Miles continue sa progression, il devrait former un duo assez intéressant sur le poste 2 avec l'expérimenté natif des Iles Vierges.
---Le Jazz semble sortir gagnant de cet intersaison on dirait. Plutôt sur des détails et avec quelques poignées d'incertitudes dans les poches mais tout ça est plutôt prometteur. Le truc qui risque de chiffonner mes commanditaires, qui manifestement ont quelques raisons de se méfier de cette équipe malgré ce remodelage d'effectif, c'est que celui-ci risque de prendre toute sa mesure au fil des années à venir. Al Jefferson n'a pas souvent connu la victoire au cours de sa carrière mais il a à peu près le même âge que Deron Williams et Paul Millsap, tandis que Gordon Hayward du haut de ses 20 ans est susceptible de devenir une quatrième roue d'excellente facture et parfaitement complémentaire au trio pré-cité pendant de nombreuses années. C'est plutôt finaud de la part des dirigeants, Deron Williams n'a plus que deux ans sur son contrat et c'est maintenant qu'il faut le convaincre qu'il y a un bel avenir à Salt Lake City.
---Evidemment, comparer une équipe qui a déjà joué une saison avec une autre qui a à peine entamé la sienne est stupide. Je m'appuie là essentiellement sur le potentiel de ce nouveau Utah Jazz et on sait tous que le parquet aime bien torpiller toutes les trucs associés à ce mot. Mais c'est pas mon problème, je fais le boulot qu'on me demande de faire aussi peu utile soit-il tant que le chèque tombe dans ma poche.
---Il me reste quelques heures avant d'aller retrouver l'autre pour lui filer mon papier. Je vais me pointer tout de suite au point de rendez-vous -un parc truffé de joggeurs à longueur de journée-, comme ça, je pourrais y pioncer tranquillement en l'attendant. Il aura qu'à me réveiller quand il se pointera.
StillBallin
1 commentaire:
j'aime beaucoup ce genre d'articles tu devrais en faire plus souvent ;)
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