29 juin 2008

StillBallin présente "La guerre froide du nouveau millénaire?"

(Article proposé par un chroniqueur indépendant invité sur ce blog, StillBallin.)

Quelles pourraient être les conséquences d’un retardement de l’âge d’entrée en NBA ?

Amir Johnson est le dernier lycéen drafté en NBA. Observant de son œil inquiet la ruée des lycéens vers la NBA et témoin désolé des retentissants échecs de Kwame Brown, Sebastian Telfair et autres oubliés tel Leon Smith ou Korleone Young, David Stern a décidé de prendre une décision radicale. Désormais, l’accès à la grande ligue est interdit aux joueurs de moins de 19 ans (née avant 1989). Plus encore, un joueur ne peut être éligible qu’un an après avoir passé son examen de lycée.

Le bilan de cette mesure est plutôt positive. OJ Mayo, numéro 3 de la draft 2008 et étiqueté gros talent depuis sa puberté en est le parfait exemple. L’année qu’il a passé à Southern California University lui a, comme on dit, mis du plomb dans la tête.

Délesté des multiples et violentes critiques qui pointaient son arrogance et sa mentalité de soliste, il a passé son année universitaire à essayer de maîtriser ses démons basketballistiques. Si les résultats ne sont pas encore visibles, son attitude l’est. Cette prise de conscience paraît être le fruit de la maturité qu’il a semble-t-il trouvé sur le campus d’USC et qui séduit de plus en plus d’observateurs NBA.

Satisfait des effets de sa décision, Stern pense à pousser un peu plus loin l’expérience en décalant encore d’un an l’âge d’entrée en NBA. Peut-être est-ce une bonne idée quand on regarde l’afflux de freshmen cette année (12 cette année, record de la ligue) avec notamment des joueurs comme Anthony Randolph ou DeAndre Jordan qui selon la majorité des analystes ne sont pas prêts pour faire le grand saut et n’ont pas la maturité nécessaire pour évoluer sans heurt dans le milieu professionnel. L’échec de Tyrus Thomas et les débuts difficiles des joueurs comme Mike Conley, Brandan Wright ou Spencer Hawes cette année, tous draftés après une seule année universitaires semble donner raison au boss de la NBA.

Cependant, certains freshmen qui se présentent cette année semblent déjà être taillés pour la grande ligue et n’ont plus rien à faire à l’université. Ainsi, celui qui a été longtemps pressenti pour être le n°1 de la draft 2008 (il sera finalement le n°2), Michael Beasley, née en 1989, n’a jamais eu l’occasion de voir sa domination contestée cette année en NCAA. Le faire replonger une année supplémentaire dans le milieu universitaire peut lui permettre de devenir plus mature, certes, mais l’opposition inférieure qu’il rencontrera ne risque-t-elle pas de freiner son évolution de basketteur ?

Les mauvaises habitudes sont très faciles à intégrer à cet âge et bien plus difficile à rompre une fois confortablement installées. Jouer trop longtemps à un niveau inférieur ne risque-t-il pas de pousser ces jeunes joueurs à trop se reposer sur leur seul talent ? Je ne vous raconte pas la claque une fois en NBA.

Mais cela ne vaut que pour les deux-trois phénomènes qui ont déjà tout cassé à ce niveau. En réalité, cette mesure viserait plutôt les autres joueurs, ceux qui ne sont pas assez intelli… mature pour comprendre qu’ils ne sont pas prêts pour la NBA. On peut comprendre l’intention de David Stern qui viserait à protéger le plus de joueurs possibles quitte à « sacrifier » (ou en tout cas ralentir) les tous meilleurs. Cette attitude paternaliste est plutôt louable en soit (presque touchante) et la contester serait difficile.

En effet, cette année supplémentaire que devront accomplir ces « oustandings NCAA players » comme Michael « Sentenza » Beasley ne serait pas forcément synonyme d’entrave à la progression. Joakim Noah l’a montré en rempilant à Florida après avoir été élu MOP du tournoi NCAA. Lors de cette année supplémentaire, Sticks a du jouer avec un nouveau statut, celui de l’homme à abattre. Ciblé par les défenses, hué continuellement par les supporters adverses et objet de l’attention oppressante des médias, il en est sorti plus fort mentalement, plus dur. D’ailleurs de la solidité mentale, il en fallait pour encaisser cette année rookie pour le moins compliquée. Parachuté dans une équipe de haut standing avant le commencement de la saison, tout s’est désagrégé autour de lui, lui-même se retrouvant parfois au centre de la tourmente. Mais au final, il a serré les dents et terminé la saison sur les chapeaux de roues avec désormais dans sa poche le titre de propriété du poste de pivot titulaire.

Cependant, Beasley était déjà dans une situation similaire à celle de Noah dans sa dernière année à Gainesville. Repéré depuis longtemps, il était déjà la cible de toutes les défenses, du public et des médias. Un an plus tard, il serait plus mature certes, mais cela ne serait-il pas plus vraisemblablement dû au fait qu’il ait un an de plus sur son Etat civil plutôt qu’un de plus sur son dossier scolaire ?

En réalité, que cette mesure soit bonne ou pas, passer deux années en NCAA alors qu’une seule suffirait risque d’en embêter plus d’un. Combien de temps se passera-t-il avant que des jeunes américains inspirés regardent de l’autre côté de l’océan avec un sourire en coin ?

En effet, les championnats européens sont ce qui se fait de mieux après la NBA et, contrairement à la NCAA, les joueurs toucheraient un vrai salaire (qui pourrait atteindre de jolies proportions d’ailleurs).

Cette fuite vers l’étranger pourrait s’avérer être très profitable pour les jeunes talents US. Ces athlètes qui ne sont encore que des adolescents mal dégrossis pourraient enfin recevoir une solide formation collective, se confronter à des vétérans chevronnés, s’immerger dans le milieu professionnel sans connaître l’indifférence qui sévit habituellement dans les franchises NBA (les clubs européens ayant plus ou moins conservés une certaine attitude proche des joueurs, résidu de leur passé associatif) et tout simplement évoluer à un niveau bien plus élevé que celui de la NCAA.

Autre point positif, un séjour prolongé sur les terres de Leonard De Vinci et de Don Quichotte pourraient endurcir leur mental et les sortir du schéma de pensée américain classique qui est un peu centré sur le pays à la bannière étoilée (comme on dit: les voyages forment la jeunesse, patati et patata…). L’expérience de vie qu’ils emmagasineraient en plus de celle ramassée sur les parquets du Vieux Continent pourrait contribuer à faire d’eux des individus plus « aiguisés » et plus à même d’affronter les difficultés et les tentations qui égrènent la vie d’un joueur NBA. On pourrait même imaginer rêveusement que cela permettent d’enrayer l’épidémie de faillite post-NBA career que connaissent une partie importante des joueurs retraités.

Par ailleurs, beaucoup de joueurs passés directement du lycée à la NBA justifiaient leur décision par le fait que leur famille était en grande difficultés financières et qu’ils ne pouvaient pas se permettre d’attendre plus longtemps avant de poser leurs doigts sur les valises de billets verts offerts par la NBA. Cet argument est plus que valable même s’il prouve une fois de plus que le monde est injuste et vicieux. En effet, un tel joueur est quasiment dans l’obligation d’entrer en NBA qu’il soit prêt ou pas et s’il ne l’est pas, sa carrière ne fera probablement pas long feu à l’instar de Kwame Brown qui en est la plus brillante illustration.

L’Europe peut être la solution pour ces joueurs qui sont dans une situation délicate (euh, ne signez pas en Grèce quand même). Ils toucheront un bon salaire, auront du temps de jeu et des entrainements réguliers pour progresser avant de toucher le pactole attendu en NBA. De plus, peut-être que certains clubs européens prendront exemple sur leurs homologues footballeurs qui n’hésitent pas à faire venir une partie des proches du joueur désiré (avec logement et même boulot à la clé) afin que celui-ci puisse s’adapter en douceur à sa nouvelle vie (et accessoirement de ne plus être préoccupé par ses problèmes familiaux). Cela est souvent le cas pour les joueurs brésiliens comme ça été le cas pour Kaka, le joueur du Milan AC (je crois qu’on peut que dire que l’opération a été un succès).

Il ne faudrait pas non plus penser que l’Europe serait un chemin « d’amour et d’eau fraiche » pour le rêve américain. Le choix de l’équipe et du championnat qu’effectuera le joueur sera primordiale. En effet, les meilleurs clubs européens n’hésitent pas à limiter drastiquement le temps de jeu de leurs américains si celui-ci n’est pas immédiatement efficient. Une telle situation serait assimilable à celle que n’importe quel rookie peut retrouver en NBA. Or ces « rookies euroleague » ont besoin de temps pour s’adapter et évoluer à leur vrai niveau. Greg Beugnot, coach de Chalon-sur-Saône, a souvent eu recours à des américains sortis tout droit de NCAA (la plupart du temps après un cursus complet) et on a souvent pu l’entendre expliquer qu’il devait à chaque fois reprendre leur formation depuis le début. Cela a été par exemple le cas pour Udonis Haslem (aujourd’hui au Heat de Miami), Will McDonald (TAU Vitoria) ou Terrell Everett qui avait survolé les play-offs l’année dernière.

Le comportement professionnel et l’abnégation dont ont fait preuve ces joueurs leur ont permis de réussir mais cela ne sera certainement pas le cas pour tout le monde. Ces joueurs-là ont eu la chance de tomber sur un coach adéquat (formateur, pédagogue et patient) qui leur a fait confiance tout au long de l’année (notons que Chalon comme la plupart des équipes françaises ne peut pas se permettre financièrement de couper des ricains à tout va comme beaucoup de gros calibres européens, ce qui explique peut-être leur patience vis-à-vis de leurs US).

Ainsi, les jeunes joueurs américains devront choisir soigneusement leur lieu d’atterrissage européen et fournir les efforts nécessaires car l’Europe reste une marche bien plus haute que celle de la NCAA.

Reprenons l’exemple de Michael Beasley. Très doué offensivement mais individualiste et désintéressé en défense, comment une équipe du haut du panier en Euroleague l’aurait utilisé ? Les performances de l’Olympiakos n’étaient pas vraiment satisfaisantes avant qu’ils ne décident de changer d’entraîneur. Le nouveau coach a admirablement redressé la barre mais pour cela, il a décidé de mettre sur le banc le joueur majeur de cette équipe, le pivot américain Marc Jackson. Pourquoi ? Parce que celui-ci était individualiste et ne s’impliquait pas en défense. Comme Beasley. Ainsi, celui qui fut considéré comme le futur n°1 de draft pendant de longs mois aurait cassé le banc d’Olympiakos comme un vulgaire porteur d’eau. J’emploie évidemment un raccourci un peu rapide et brutal mais il permet de montrer qu’en Europe, le talent ne fait pas tout, loin de là et que comme la NBA, l’Euroleague est un monde impitoyable.

Certes, cette mise en concurrence aurait pu pousser Sentenza à ce bouger les miches en défense et à lâcher le ballon mais est-ce qu’un club comme Olympiakos qui cherche avant tout à gagner aurait pris le temps de faire évoluer son poulain ? Personnellement, je pense plutôt qu’ils l’auraient utilisé uniquement sur de courtes séquences pour profiter de ces extraordinaires capacités offensives sans pour autant être pénalisé par ses défauts.

Un joueur du type de Beasley aurait certainement mieux fait de signer dans un club du milieu du tableau en Euroleague (Malaga ou peut-être Lietuvos Rytas) ou dans une solide équipe d’Uleb Cup qui évolue dans un gros championnat (Espagne ou Italie). Cependant, je reste persuadé que c’est par rapport à l’entraineur que les jeunes ricains devraient effectuer leur choix. J’ai déjà évoqué les réussites de Greg Beugnot mais on peut aussi parler de celle d’Aito (Joventut Badalona) avec Jérôme Moïso.

D’ailleurs, le championnat français aurait une belle carte à jouer pour attirer des prospects US avec sa réputation de tremplin (Tanoka Beard, Marcus Brown, Terrell McIntyre, Marcus Goree,…) et son contingent de coachs formateurs dans l’âme qui ont l’habitude de prendre en charge des jeunes américains.

Cet exil européen serait très intéressant pour les joueurs qui dominent la NCAA, cependant, on peut s’attendre à ce que beaucoup d’universitaires les suivent sans forcément avoir outrepassé le niveau NCAA. Cela n’est pas forcément un mal, la formation des jeunes américains se focalisent sur les qualités individuelles et le un-contre-un ; en venant en Europe, ils pourront (devront) s’atteler à être productif au sein d’une équipe. Un joueur couplant formation américaine et européenne et disposant d’un potentiel NBA possèderaient toutes les armes pour s’imposer dans la grande ligue et plus encore, faire gagner son équipe.

D’ailleurs en extrapolant un peu, on peut imaginer que si ce phénomène d’exode se réalise, les années futurs verront une NBA moins portée sur le un-contre-un et plus sur le jeu collectif. Un réel métissage des cultures qui ne pourrait qu’être bénéfique pour la NBA et le basket en général et qui devrait ravir l’ensemble des amateurs de la balle orange.

Evidemment, beaucoup d’américains pourraient se planter complètement mais c’est comme partout, le talent ne suffit pas. Peut-être plus encore en Europe, d’ailleurs.

En s’enfonçant un peu plus dans cette hypothèse d’un exode massif (bien que provisoire), on peut supposer que les instances des dirigeants du basket américain ne resteront pas sans réaction devant la désertion de la NCAA. On peut s’attendre à des règlements quasi-totalitaristes comme une obligation de passer un certain nombre d’années en université avant de pouvoir intégrer la NBA par exemple. Les pontes de la grande ligue argueraient certainement qu’en partant prématurément en Europe, un jeune lycéen/freshman se soustrait à une instruction supérieure (universitaire), ce qui en soit n’est pas faux, et ils seraient capable d’instaurer un examen d’entrée en NBA afin d’ « obliger » les jeunes américains à faire chauffer leur cervelles sur les bancs de la fac. Il s’agit bien évidemment d’une extrémité farfelue mais face à l’Euroleague, quelles sont les avantages de la NCAA basketballistiquement parlant ? Trop peu. Le salut des universités américaines pourrait passer par une restructuration de leur championnat mais je doute qu’elles arrivent malgré tout à rivaliser avec l’Europe.

Plus vraisemblablement, la NBA pourrait accélérer le processus de vampirisation du Vieux Continent qu’elle a timidement commencé. Sur le fond, cela ne changera pas grand-chose, le basket européen resterait l’antichambre de la ligue américaine, sauf que dans ce cas de figure, il sera condamné à le rester éternellement dans l’ombre de la NBA sans jamais pouvoir même rêver concurrencer un jour la grande ligue.

Cet afflux massif d’américains à fort potentiel pourrait aussi provoquer quelques réactions du côté des instances européennes. D’une part, nous devrions assister à une véritable course aux salaires. Les clubs rivalisant d’offres alléchantes pour attirer ces prodiges, on peut espérer que les grosses têtes de l’Euroleague en profiteront pour instaurer un salary cap et ainsi freiner l’élargissement du fossé entre les riches et les pauvres. En tout cas, cela serait certainement l’une des seules choses pouvant préserver l’équité et l’incertitude de ce sport (même en dehors de l’hypothèse que j’évoque ici d’ailleurs).

On peut supposer que des règlements seront modifiés comme en Italie où, il me semble, aucune limite aux nombre d’étrangers n’est en vigueur. Si les transalpins veulent continuer d’avoir des jeunes italiens dans leur championnat, ils devront certainement revenir au système de quotas.

Aussi, l’harmonisation des règles devrait connaître une jolie accélération (et désinhiber plus encore les jeunes pensionnaires de l’Oncle Sam pour rejoindre le Vieux Continent) car il ne fait aucun doute que si ce phénomène de migration s’effectue, les deux pôles du basket mondial devront collaborer étroitement.

D’ailleurs, c’est vraiment les relations entre la NBA et l’Europe qu’ils seraient le plus intéressant à observer. Comment vont-elles s’organiser ? Verront-nous une vraie collaboration ou l’une des entités prendra l’ascendant sur l’autre. Cette lutte souterraine, quasi-politique parsemée d’intrigues, de sourires hypocrites et d’anticipations devrait autant attirer nos regards (et nos oreilles) que les joutes sur les parquets.

Comme vous le voyez, la décision de décaler encore l’âge d’entrée en NBA n’est pas anodine. L’effet collatéral incluant l’Europe qu’elle pourrait engendrer peut contribuer à améliorer la NBA et le basket européen. D’autres éléments plus idéologiques notamment, viendront certainement se greffer au débat qui devrait bientôt s’ouvrir sur le sujet mais pour moi, simple spectateur attentif du basket américain et européen, si cette simple décision débouche sur une amélioration de la qualité de jeu, sur une collaboration équitable entre les deux pôles du basket et même peut-être sur une vraie rivalité sportive entre l’Euroleague et la NBA, je signe des deux mains et quatre fois s’il le faut.

Article de Stillballin...

Note de Dominique : Cette théorie sera vraisemblablement bientôt en pratique avec le cas Brandon Jennings (dernière photo), annoncé comme probable numéro 1 de la draft 2009, qui pourrait se retrouver à combattre Ricky Rubio (l'autre phénomène du poste 1 de la prochaine draft) sur les terrains européens parce qu'il n'a pas le niveau scolaire suffisant pour entrer à l'université.
Quand on connaît la faiblesse du niveau scolaire américain, c'est à se demander si le nouveau Kenny Anderson sait lire et écrire autre chose que son nom...

L'article du New York Times relatant l'affaire.

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