Surdoué malgré sa maladie (syndrome de la Tourette), Mahmoud Abdul Rauf est devenu en une soirée le joueur le plus haï de l’histoire de la NBA. Portrait d’un homme à qui le rêve américain ne disait rien de bon.
4 février 1996. Invaincus depuis 18 matchs et en route vers leur historique record de 72 victoires, les Chicago Bulls de Jordan comptent bien prolonger leur série face à une médiocre équipe de Denver. Les Nuggets possèdent un effectif talentueux mais trop irrégulier et handicapé par la blessure de leur scoreur Laphonso Ellis.
Sur le terrain, les Bulls sont rapidement menés par l’équipe adverse et malmenés par un joueur d’un mètre quatre-vingt qui enchaîne les paniers comme on enfile des perles. Jordan, Harper, Kerr… Peu importe qui s’y colle, le petit numéro 1 de Denver échappe à ses défenseurs et dégaine rapidement son tir réglé au millimètre.
34 points plus tard, le meneur a offert une victoire d’estime à son équipe et démontré qu’il pourrait être l’un des meilleurs joueurs de la ligue. Pourrait, car les choses n’ont jamais été simples pour Mahmoud Abdul Rauf. Et tout particulièrement durant cette saison, sa dernière à Denver et le début de la fin de sa carrière en NBA.
Mahmoud Abdul Rauf, ou plutôt Chris Jackson comme il se nomme encore à l’époque, grandit à Gulfport, ville pauvre du Mississippi, le salaire moyen 20 % sous la moyenne nationale. Maman travaille dans la cafeteria d’un hôpital. Le père est absent, comme ceux des deux frangins. La famille se nourrit comme elle peut, lutte pour payer le loyer. Chris, lui, lutte à l’école où la lecture en particulier pose problème.
« Je dois formuler chaque phrase parfaitement dans ma tête, ensuite elle doit sortir correctement de mes lèvres lorsque je la prononce a voix haute et enfin je dois la comprendre comme il faut. Quand j’étais enfant et que j’étudiais, je pouvais parfois passer une heure pour lire une seule phrase ».
« Il m’a dit que j’avais des manies et m’a donné une pilule à prendre une fois par mois».
Le jeune garçon souffre, et prie intérieurement pour que son corps ne le trahisse pas. Il doit attendre son avant dernière année de lycée pour que sa maladie soit diagnostiquée.
Avec le basket, Chris trouve une échappatoire. Sur le terrain, ses tics sont plus difficiles à repérer, et le garçon se révèle exceptionnellement talentueux. Un talent peut-être en partie du à sa maladie, comme une compensation pour le mal qu’elle lui inflige. Le syndrome de la Tourette est une maladie neurologique caractérisée par des tics involontaires et qui s’accompagnent souvent d’autres handicaps: troubles obsessionnels du comportement, crises de panique, troubles du sommeil et de l’apprentissage. Il apparaît durant l’enfance et touche plus souvent les garçons. Les TOC sont eux plus fréquents chez les filles, mais pas de chance, Chris n’y échappe pas. Ces troubles se manifestent comme une idée récurrente mobilisant l’esprit jusqu'à ce qu’une action y mette fin, et traduisent un besoin de perfection.
Sur le terrain, cette obsession du geste parfait pousse Chris à tirer chaque jour des centaines de lancer franc, jusqu'à devenir un virtuose en la matière. Mieux, face au panier, sa concentration lui permet de maîtriser ses gestes et prendre le dessus sur ses tics. Son entraîneur au lycée proposait à ses joueurs un marché : ils pouvaient réduire le temps de travail physique en marquant des lancers consécutifs. Un jour, Chris en rentre 283 à la suite et met fin a l’entraînement. En 1994 il passe 229 fois derrière la ligne et ne manque que dix fois sa cible, passant à un tir du record NBA datant de 1981.
En 1990, après sa deuxième saison avec LSU, à mi chemin de son parcours universitaire, Chris réfléchit à la possibilité d’intégrer dés maintenant la NBA. De retour à Gulfport chez sa mère, l’évier de la salle de bain s’écroule à ses pieds. Son choix est fait, le prodige de la Louisiane part pour la ligue professionnelle et ses millions.
Choisi à la 3éme place de la draft 1991 par les Denver Nuggets, avant même Gary Payton, Chris suscite beaucoup d’espoir. L’adaptation est pourtant difficile. Le niveau professionnel est bien plus exigeant physiquement que le niveau universitaire et le jeune joueur est rapidement hors de forme. Peut être plus perturbant pour lui, il trouve un décalage entre son mode de vie et celui des autres joueurs. Le quotidien de ses coéquipiers est fait de conquêtes féminines, de jeux et de soirées. Lui s’est marié, réfléchit sur la situation des noirs aux Etats-Unis et fait le tour des ghettos américains pour assister à des meetings sur l’Islam. Sur le terrain il déçoit. 14.2 points de moyenne pour sa première année puis seulement 10.3 la deuxième. Le joueur a autre chose en tête et perd confiance en son jeu. Il évolue spirituellement et s’écarte légèrement du basket. Mahmoud Abdul Rauf est en train de naître, dans la douleur.
2 commentaires:
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